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L’affaire d’Outreau sur Netflix : un fiasco peut en cacher un autre

Outreau, c’est à côté de la mer, sauf qu’on ne la voit jamais. Dans cette banlieue de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), au cinquième étage du numéro 20 de la tour HLM du Renard, des films porno tournent en permanence sur la télé du salon, où trône une collection de crânes humains. Ici, le père de famille arrache les lattes du lit pour frapper ses quatre enfants, fait irruption la nuit avec un masque pour les terroriser. Mais ce n’est pas le pire, et de loin.
Outreau, un cauchemar français, série documentaire diffusée sur Netflix depuis le 15 mars, plante ainsi le décor : l’immeuble (détruit en 2023) a été reconstitué en maquette, telle une maison de poupées où l’on joue à martyriser les enfants. Autour des mini-balcons jaunes gravite Fabrice Burgaud, célèbre pour avoir déclenché, entre 2001 et 2005, le plus gros fiasco judiciaire de ce début de siècle. C’est la première fois que le magistrat, aujourd’hui avocat général référendaire à la Cour de cassation, témoigne sur cette affaire, qui, depuis vingt ans, a fait l’objet de nombreux documentaires, de plusieurs livres, et même d’un film (Présumé coupable, 2011). Un récit médiatique qui a forgé les inconscients.
L’histoire, on la connaît, du moins dans les grandes lignes. Douze enfants victimes de violences sexuelles et actes de barbarie commis en 1997 et 2000, quatre accusés reconnus coupables sur dix-sept, treize personnes acquittées après avoir passé trois ans en prison. De « l’inceste de palier » au « réseau pédocriminel », des « miséreux » de la cité aux « notables » de la ville, cette affaire Dutroux à la française s’est effondrée comme un château de cartes. Ce que l’on en a retenu : les adultes innocents aux vies brisées. Et une leçon : il ne faut pas croire tout ce que racontent les enfants.
En 2023, un autre documentaire, L’Affaire d’Outreau, diffusé sur France Télévisions, avait choisi de revenir sur ces treize accusés que la justice avait acquittés après trois procès aux assises. Quatre d’entre eux y racontaient le rouleau compresseur judiciaire et médiatique. Seule victime à témoigner face caméra : Jonathan Delay, fils des deux principaux accusés, Myriam Badaoui et Thierry Delay, condamnés à quinze et vingt ans de réclusion. Ses parents avaient avoué l’avoir violé, lui et ses frères, « deux ou trois fois par semaine ». Un couple de voisins, qui ont également reconnu les faits, participait parfois. Jonathan avait 6 ans.
Comme l’écrivait mon confrère Henri Seckel, « la télévision ne peut aborder de manière exhaustive une histoire aussi dense que celle d’Outreau ». Le documentaire de Netflix n’échappe pas à cette règle, mais sa vocation internationale apporte un éclairage néanmoins instructif, en mêlant les images d’archives aux témoignages des principaux acteurs de l’affaire : le juge Burgaud donc, les avocats de la défense – Eric Dupond-Moretti, Hubert Delarue, Frank Berton… –, ceux des parties civiles, l’experte psy, les magistrats de la chambre d’instruction, les journalistes qui ont couvert l’événement, etc. Jonathan Delay y livre une nouvelle fois son récit, loin de la vérité judiciaire. Mais, là encore, les principaux intéressés manquent à l’appel, soit ces onze autres enfants reconnus victimes de viols. Que deviennent-ils, qu’ont-ils à dire ? On ne le saura pas. Ils restent les invisibles de l’histoire.
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